Logo du podcast
Le Jardin des délices - Podcast créatif

D'où viennent-les mots ?

Quand elle disparaît, cette flamme qui anime ma plume, je me sens vide et me languis d'elle, comme je me languis de ce qui la provoque.

C'est étrange comme je ne contrôle pas d'où les mots viennent, ni leur flux. Ils semblent parfois s'extirper hors de moi, seuls. Venus d'un ailleurs mystérieux.

Autonomes.

Parfois, la souffrance est si intense que je sens ma peau se déchirer par endroit, comme si mon corps était trop étroit pour retenir mon feu créatif et l'empêcher de s'exprimer. Alors s'expulse hors de moi, de ma plume, un flot logorrhéique qui écume de ses impuretés les mers de mon inconscient. Ils sont libres de voguer où bon leur semblent et s'associent de leur seule volonté, en êtres de papier dotés d'une intelligence suprême. Ils se lient, se lèchent et se délectent peu à peu l'un de l'autre. Ils sont autosuffisants et rien n'est à première vue réfléchi.

Est-ce cela qui est appelé inspiration ? Est-ce la Muse qui me souffle ses doux mots aux creux de l'oreille, la nuit, le jour, lorsque je tombe de sommeil, à demi consciente, et que mes doigts surfent sur les vagues d'un papier gondolé ? Sans contrôle. Ils glissent de lettre en lettre, de mot en mot et parfois, je n'y trouve de sens qu'à la relecture. Mais de prime abord, est-ce réellement moi qui ai créé, écrit ces textes ? Je les cisèle, oui, mais leurs substances vient-elle de mon âme ou d'une source indéfinie ?

Savez-vous, Monsieur, si la Muse s'évapore lorsque la relation n'est pas entretenue ?
Ou reste-elle un peu auprès de nous alors que nous ne lui offrons aucune attention ?
J'ai pu goûter à une telle puissance créatrice ! Me la retirer... c'est un arc bandé sans une seule flèche à tirer. Un bateau sans voile. Une lune sans étoiles.

Je me sens vide.
Immatérielle.
Sans substance.
Mon âme navigue sur un entre deux exécrable.

C'est étrange, je ne me suis jamais réellement retrouvée dans aucune religion, pourtant, parfois, lorsque j'écris, j'ai l'impression d'avoir une connexion avec le divin. Pas un dieu anthropomorphisé tel qu'on le connaît, mais une puissance surnaturelle. J'ai l'impression d'être inséminée d'idées et de n'être que le canal de mots posés sur des maux. Et lorsque la connexion se rompt, le désespoir m'envahit. Je sens le vide se creuser en mon ventre et m'étouffer de sa profondeur archaïque et ancestrale. Je suis si lasse de ces maux qui ne savent plus m'imprimer.
S'exprimer.

D'où viennent ces mots ? Les ai-je seulement pensé avant de saisir leurs corps à la fois souples et fermes ?
Leur encre s'étale et bave. Elle les expose aux regards des curieux avides et affamés de maux douloureux.
Qui suis-je pour oser leur imposer un semblant de vie qu'ils n'ont jamais demandée ?
Qui suis-je pour les exhiber aux yeux du monde sans aucune considération ni modération ?

Je dévoile leur peau, les mets à nu, sans consentement préalable, les affiche sans pudeur sur la place publique. Ils se pavanent presque en se riant de ma naïveté ; après tout je ne les maîtrise pas, ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent, exprimer leurs désirs les plus subtils, leurs fantasmes les plus sibyllins...

Alors que débarque l'Oubli, à bord de son embarcation abyssal, sur son fougueux destrier d'encre, peu importe sa couleur, je lâche la prise et me laisse posséder. Il s'empare de moi. Il sera toujours le grand vainqueur du combat entre les mots et moi.
Entre la Muse et moi.

Vous avez réveillé, Monsieur, quelque chose qui a maintenant disparu. Encore. Comme si à chaque fois que j'essayais de me saisir, je m’évanouissais dans l'infini. Les mots se déchirent, s'étiolent et se disloquent. Ils couvrent ma vie d'écume. Ainsi, en une vapeur éthérique avalée goulûment par le vent hiémal, s'envole mon corps. Nous ne faisons plus qu'un. Indivisibles invisibles.

Lassitude.

Oh, Monsieur, soufflez-moi ce que je dois accomplir pour retrouver un flux continu de mots, de ceux qui ne se tarissent plus... contez-le-moi. Je vous en supplie, mon âme à vos pied, contez-le-moi...

Que dois-je accomplir ?

Brocéliande, 8 février 2022