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Humaine
J'aimerais que ma sensibilité soit une force, un atout inébranlable auquel me fier, un marche-pied solidement ancré vers l'arbre de la créativité. J'y cueillerai des rimes subtiles entre ses odorantes feuilles abondantes. Je me bercerais au milieu de mots lyriques nourris d'une sève chatoyante, à l'image des toiles des artistes coloristes exposé.e.s à la lumière éclatante du Sud. À l'ombre d'un figuier, mes lettres se parfumeraient de garrigue, de lavande et chanteraient les cigales, le soleil, la mer, peut-être aussi l'océan et son lointain ressac. Ou une timide rivière qui mène à une arche de pierre au cœur d'un vallon secret.
"Sea, sex and burn" à coup de "Boys, boys, boys" dans la piscine, la joie innocente des batailles dans l'eau chlorée et de la fête de l'insouciance au milieu des champs de blé fauché. Canard en plastique et bouée de bain licorne multicolore. Plumes, paillettes et plateform shoes.
Mais ma sensibilité, exacerbée par toutes mes sensorialités exaltées, se confronte au monde extérieur avec fracas. Le miroir intérieur s'étoile et les éclats fragilisent mon cœur, ma peau déjà à vif, irritée par la violence des échanges sociaux et les atrocités qui se multiplient. La lumière éclatante me brûle les pupilles et je me réfugie dans les brumes mystiques, le brouillard inquiétant qui joue avec les corps en les rendant éthérés, chimériques. Mélange du végétal, du minéral, de l'animal. Un seul être. Sauvage. Dryade, sorcière, nymphe, sirène ou encore renarde de feu... peu importe la forme pourvu qu'elle soit mêlée au Vivant et à la divine imagination issue du puits créatif commun.
L'imagination, la Reine des facultés...
Malaise.
Réalité avilissante.
Comment faire cohabiter deux opposés ?
Comment jongler entre deux états d'être ?
Lumière ou ombre.
Spleen mélancolique face à extase mystique.
Matérialité prosaïque contre imaginaire poétique.
Comment jongler entre deux polarités ?
Un pied de chaque côté d'un ravin sinueux et insondable.
Grand écart fragile, sur la pointe des pieds, prête à glisser au moindre faux pas... écartelée...
Et l'appel du vide qui menace. Le néant qui guette, tapi dans l'obscurité, résolu à surgir brutalement pour me lacérer de ses serres acérées et m'engloutir dans son ventre abyssal.
(Déglutition.)
Comment ne pas me perdre sur mon chemin ni être influencée par toutes les sources de stimulations, d'informations ? Dopamine à outrance et scroll infini.
Comment trouver ma place d'objecteuse de croissance dans le trou noir du capitalisme exponentiel, irrationnel et individualiste ? Sourd à l'amour.
J'étouffe dans cette société manichéenne qui ne cherche que le profit, le pouvoir, le clivage, en dépit des vies massacrées, opprimées, asservies à un jeu mortifère. Celui de la domination des minorités. Asservissement des masses.
Une décision obligatoire.
Injonction d'un choix raisonné.
L'un
Ou
L'autre
Marche
Ou
Crève
Binarité inculquée, réductrice et cloisonnée.
Pourquoi ne pas simplement accepter chaque partie telle qu'elle est, avec bienveillance, sans la remettre en question indéfiniment ? Laisser s'étioler les jugements haineux et ouvrir son cœur à la différence. Cette différence qui nous rassemble. Nous enrichit. L'autre est un cadeau.
À la force de l'esprit, mêler les deux pôles pour se ressourcer, créer une vie à son image, loin du diktat des injonctions sociales et sociétales. Loin de l'horreur humaine inhumaine et rallumer une lueur d'espoir dans le cœur des âmes égarées, errantes, dans le labyrinthe de leur psyché tourmentée.
Appeler la mère universelle et le père universel, en symboles, pour trouver du réconfort et réhabiliter en nous nos parts féminine et masculine intérieures. Nous réparer. Nous réconcilier avec chacune d'entre elles. Les apprivoiser. Les faire fusionner pour guérir notre humanité dans un genre commun à toustes. Unique. Humain.e. loin des conditionnements qui nous entravent de leurs carcans étriqués et éteignent l'amour qui vibre en nos cœurs.
Nous sommes toustes.
Et moi...
Et moi, je suis une vague qui ondule à l'horizon au gré du vent impétueux. Je cherche dans les profondeurs, dans le maelström de nos existences ternes, l'étincelle de vivacité qui ravivera ma palette de couleurs pour vous ranimer, vous faire naviguer le long de côtes vertigineuses et mirifiques.
Je suis fluide, comme l'eau qui s'adapte à ses propres limites, aux reliefs incertains de la terre et aux moindres anfractuosités de la roche. Je charrie les mots avec ténacité pour les chuchoter au creux de vos oreilles. Pour tenter de vous apporter du réconfort dans votre solitude. Et la mienne.
Je suis impalpable, insaisissable comme l'air qui s'infiltre dans la moindre fissure pour vous apporter le chant des oiseaux perchés à la cime des arbres. Douce mélodie symphonique diurne ou discrète mélopée nocturne. Apaisantes.
Je suis le volcan qui gronde et crache son feu rageur au ciel pour dévaler les pentes infernales et lécher de sa langue de lave toutes les toxicités du monde pour les consumer. Brasier avide. Consomption rédemptrice. Purification par le feu des divinités élémentaires.
Je suis la foudre colérique, happée par la terre, qui frappe et anesthésie la conscience. Départ pour un lieu indicible, cosmique, où les étoiles pullulent dans mes cieux de noctambule et font briller mes yeux. Surfer sur la voie lactée au goût de framboise et frôler les limites de notre galaxie, de notre univers. Exultation.
Je suis l'amalgame ciselé de mes croyances imprécises et de mes sources d'émerveillement qui enrichissent ma créativité. Occultisme raisonné.
Paradoxe amplifié.
Exaltation ésotérique et jubilation scientifique mixées...
Je suis simplement humaine, avec ses imperfections, avec ce sang parfois douloureux, acide, qui coule de mes veines pour en alimenter ma plume, nourrir mes mots.
Le seul refuge pour mes maux.
Exutoire salvateur.
Électron sensible. Libre.
À Charles Baudelaire.
À Ltno.
17 - 22 août 2025