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Le Jardin des délices - Podcast créatif

Cirque Intérieur

En bonne servante de la Samain, il m'est nécessaire de muter en freak pour profiter de la levée de voile sans me faire dévorer… et place au cirque des monstres ! Cette année, alors que le monde des Vivants et celui des Morts se mêlent, il est temps d'entrer en nous-même. Je vous propose donc d'explorer l'entresort de l'entre-soi du cerveau humain et de découvrir quelques unes des entités alambiquées qui s'y dissimulent. En offrande, je vous offre cette escapade sous la forme d'une prose... différente. Que cette nouvelle levée de voile vous soit douce.

Approchez, approchez, Mesdames, Messieurs, Miz, Transgenres, Agenres, Divers-Genres, Neutres et Non-Binaires, je vais vous présenter l'incroyable cirque de notre psyché déstructurée.
Je suis votre guide pour la soirée et ferai en sorte que vous ne soyez pas dérouté.e.s par les couloirs méandriques et cavernes cryptiques de notre curieux cabaret.
Quelques recommandations, toutefois, avant d'entamer notre exploration :

Allez ! Suivez-moi ! Commençons notre visite...

Sur ma droite, je vous présente le facétieux Pelleteux, l'ego destructeur doté de sa pelle multifonction, que vous connaissez déjà un peu*. Regardez-le affûter sa lame, il exulte de joie sous les projecteurs, il trépigne d'impatience à l'idée d'user de ses outils aiguisés contre notre confuse conscience dès que nous aurons le dos tourné. Son exaltation est à son comble et sa silhouette simiesque s'étire sur chaque strate de notre demeure enchantée. Il est probable qu'il nous suive partout sans que nous ne nous en apercevions pour nous surprendre dans la pénombre d'une porte cochère ou d'un passage sinueux. Restez sur vos gardes, sa pelle est bien plus tranchante qu'un scalpel. Un simple coup vous serait fatal.

Sur ma gauche, délicatement ciselée dans des la(r)mes de rasoir, je vous demande d'applaudir bien fort Dame Impostrice. Elle est notre funambule équilibriste qui n'ose pas emprunter son fil. Bien qu'assez tendu, il ne lui inspire aucune confiance. Elle n'est pas encore assez agile, dit-elle. Son perfectionnement est la clef. Quant à sa zone de confort, si petite soit-elle, elle ne la quitte jamais. Ne l'encouragez pas. Ne la soutenez pas. Ne lui parlez pas d'oser franchir le premier pas, elle se prostrerait pour l'éternité.

Sur le trapèze, là-haut, aussi haut que notre esprit peut gamberger, iel y a cette entité agenre, là, qu'on dénomme Mental et qui ne se tait jamais. Logorrhéique, iel intrique ses idées folles entre elles un véritable emmêlement de laine. Iel brode sa propre trame, puis il déroule les fils de l'Impostrice, dénoue ceux des Émotions et tisse avec tous ces délicats matériaux de jolies toiles poisseuses dignes des argiopes qu'iel offre discrètement au Pelleteux pour nous piéger. Iels sont secrètement amoureux.

Et là-bas, dans la cage bien scellée, à double tour comme il se doit, ont été anesthésiées les Émotions. Trop envahissantes, il a été jugé préférable de les museler. Elles y ont été claustrées avec les Rêves. Camisoles chimique et physique ! C'était plus prudent. Ensemble, iels auraient pu semer des graines de liberté, fomenter des rébellions et provoquer une zizanie incontrôlable entre le corps, le cœur, l'esprit et l'âme.
Alors chut ! Ne les réveillons pas... et venez avec moi.

Oui, bon, je sais ce que vous allez me dire, leur cage est trop petite et iels y sont trop serré.e.s, mais il était nécessaire de les étouffer rapidement et nous étions en rupture de stock de cellules nuptiales et de donjons. Nous avons failli assister à un coup d'état sanglant. Allez demander à ce qui reste de Spiritualité, elle s'est réfugiée chez les Spiritueux encore toute déboussolée d'avoir été presque entièrement annihilée par le monde matériel. Il n'en reste plus grand-chose.

Et donc, pour les Spiritueux, enfin les Spiritueuses, devrais-je dire, rendez-vous au bar. C'est là que le trio infernal, Déception, Frustration et Humiliation, se réunit pour expérimenter les ravages qu'elles peuvent nous causer. À coups de scandaleux cocktails alchimiques, elles concoctent nos prochaines gueules de bois, nos futures dépressions. Je vous déconseille de tester le Procrastination. Après vous avoir exalté, il vous mène à un état d'apathie générale sans passer par la case désinvolture. La sensation est fulgurante, puis perdure. Toute envie disparaît.

Alors oui, je me doute que vous êtes déjà tenté.e.s d'y faire une halte, il est vrai que les Spiritueuses sont très séduisantes dans leur genre, mais il est préférable que vous vous désaltériez une fois notre visite achevée sans quoi vous risqueriez de ne jamais plus nous quitter.

Continuons donc notre route, nous avons encore une belle brochette d'entités à découvrir, notamment celle à laquelle la Haute Conscience aspire à ce que nous ressemblions toustes. La Triade Vénérable : Sagesse, Sérénité et Compassion.

Éthérées, elles virevoltent au grès du vent. Ne croyez pas qu'elles manquent d'ancrage. Non, non ! Elles ont conscience de tout et de toustes. Elles sont un peu les bras droits malmenés de la Haute Conscience. Ce sont ses favorites... Il n'y a qu'elles qui ont l'autorisation de l'approcher.
Et si tout se passe bien, un jour, l'ensemble devrait fusionner et nous phagocyter toustes pour créer une nouvelle instance : l'équanimité.
Nous sommes toustes un peu jaloux.ses...

« Grow fins, go back in the water... »**

Non !
Non ! N'allez pas par-là 
Non, non et non. C'est une entrée interdite ! Seul.e.s de très rares initié.e.s ont le droit de pénétrer ces lieux obscurs où louvoient les sirènes. Même moi, je n'y ai pas accès. Ce sont les sinistres cachots du cirque et vous n'aimeriez pas rencontrer les créatures qui s'y trouvent.
L'une d'elle a flatté les Enfers, côtoyé ses représentants ; son ancien poste de guide aurait fait pâlir Virgile lui-même... oui, il y a là-dedans l'abyssale tanière de la sibylline et sulfureuse Mrs. Hyde. Un véritable dédale pour y parvenir à ce qu'il paraît. Sans araignée pour vous guider, vous vous y perdriez. Enfin, c'est ce qu'on raconte. Et même si les fissures du plafond regorgent de tégénaires tentaculaires et de zoropses à pattes épineuses, il y a bien longtemps qu'elles n'enseignent plus leur savoir ancestral dédié à l'orientation.

Pour en revenir à notre prisonnière, il y a quelques années, on l'entendait encore rugir à chaque pleine lune, comme si, telle un lycanthrope, elle se métamorphosait. Je ne sais pas trop si elle est encore en vie. La rumeur dit qu'elle est à l'agonie. Les ténèbres l'auraient contaminée et elle se serait à une folie mutique condamnée. À mon humble avis, ce n'est pas plus mal, il paraît que lors de son dernier voyage aux Enfers, Bélial était si proche de la corrompre qu'elle était tel un ouragan déchaîné en revenant. Il aurait fallu plus de dix gardes pour la contenir et la cloitrer... pour son bien, évidemment.

Si ? Si quoi ?
Si elle reçoit des soins quotidiens ? Mais oui, bien sûr ! Vous nous prenez pour qui ? Nous ne sommes pas des tortionnaires. Nous sommes peut-être un peu atypiques, mais la Haute Conscience qui gère le cirque a de très hauts principes, elle sait très bien ce qu'elle fait. Chaque parcelle du Nous est une facette d'un même Tout, après tout. Nous sommes toustes lié.e.s, interdépendant.e.s. Sinon, nous nous effondrerions comme un fébrile château de cartes soumis à une brise légère.

Personnellement, je préférerais qu'on perde les clefs de sa geôle et qu'on la laisse pourrir là où elle est. J'allais dire rôtir, mais je doute qu'elle désire retourner un jour aux Enfers. Pour tout vous dire, la dernière fois que je l'ai croisée, et c'était bien avant sa dernière expédition en enfer, elle a failli me becqueter... et elle se marrait de m'avoir fait si peur. Non, non, sincèrement, restez dans les rangs Mrs. Hyde est persona non grata, même parmi nous.

Et elle n'est pas l'entité la plus effrayante de notre entresort.
Dans les cachots, séquestrée encore plus profondément que Mrs. Hyde, dans des abîmes insondables encore plus impénétrables que ceux où vaguent les sirènes, l'Ombre nous guette toustes. Elle est prête à nous engloutir. Elle cherche des interstices poreux pour s'infiltrer parmi nous et tente de s'allier aux gredins pour nous endormir toustes et nous évider de notre substance. Elle veut nous dévorer, nous annihiler. Nous faire disparaître. C'est l'entité la mieux gardée du cirque. Sous somnifères en continu, pieds et poings liés. Elle est immonde, bestiale et sombre. De sa gueule béante, elle pourrait toustes nous aspirer comme le fait un trou noir d'une galaxie infortunée. Elle ne refait surface que lorsque nos fondations sont ébranlées, ce qui est plutôt rare, il faut l'avouer.

Allez ! Je vous ai gardé le meilleur pour la fin. L'entité paradoxale par excellence, gender-fluid et puissante. Il s'agit d'Espoir. Iel essaie de duper le Mental et le Pelleteux qui se camouflent en embuscade pour saborder son travail. Espoir est capable de vous emporter au-delà du monde connu. Mais si le Mental et le Pelleteux s'emmêlent, Espoir vous enferme dans une spirale descendante infernale d'où il est impossible de s'échapper. D'une simple pensée, iel peut vous faire éprouver un extase puissant, comme une profonde mélancolie du fait d'un contraste énorme avec la réalité vécue par la Haute Conscience. Iel est le.a seul.e à pouvoir La déstabiliser et pourtant, iel est souvent le.a seul.a à nous maintenir toustes debout. Iel nous permet de continuer notre cheminement. Tout le monde sait qu'Espoir consulte régulièrement les Rêves, avec lesquels iel fonctionnait jusqu'à peu en binôme pour disséminer leurs idées. Iel continue en secret et personne ne l'en empêche. Iel nous fait tellement de bien. Je pense que la Haute Conscience l'aime plus que n'importe quelle autre entité qui nous hante. Oui, bien davantage que la Triade Vénérable même si Elle ne l'assumera jamais devant nous.

(soupirs)

Bon ! Je vois que nous nous rapprochons de la sortie. J'espère que vous avez vraiment fait attention à vos poches tout au long de notre voyage expérimental, les facétieux gredins se dissimulent parfois dans les joints des pierres de notre demeure et nous ne pourrions vous dédommager des pertes immatérielle occasionnées. En vous souhaitant un bon (retour chez vous)...

ALERTE ! ALERTE ! ALERTE !
DES DÉTENU.E.S SE SONT ÉCHAPPÉ.E.S ! DES DÉTENU.E.S SE SONT ÉCHAPPÉ.E.S ! DES DÉTENU.E.S SE SONT ÉCHAPPÉ.E.S !

27 octobre 2022 - octobre 2023

Un grand merci à toustes les personnes et artistes qui ont œuvré et œuvrent encore pour mettre à l'honneur les marginaux et ce qu'on appelait autrefois les cirques de monstres (Freak show), c'est cirques humains dans lesquels étaient exhibés des humain.e.s au physique atypique, différent.
À Tod Browning et son chef d’œuvre inoubliable Freaks, la monstrueuse parade (1932).
À l'étonnant Schlitzie et toustes ses camarades désigné.e.s « monstres » par notre société excluante.
Aux grands singes d'Apes O'Clock et en particulier à la révolte des plumes incisives et percutantes du groupe (Johan Clérambourg et Hugues Appert) qui a réussi à allumer l'étincelle créative pour me guider dans les méandres de mon propre cirque labyrinthique. À leur tumultueux cabaret simiesque qui enchantent mes oreilles. Pensées particulières pour « Soyez les Bienvenus », « Voodoo Queen » (Le spectacle continue, 2019), « L'Entresort », « Le Cabotin », « Hans Peter Von Barrik » (À l'aube du tumulte, 2023) et toutes leurs chansons qui évoquent la Marge de notre société.
À la folie douce des Tétines Noires et à leur morceau « Freaks » issu de Fauvisme et Pense-Bête (1990). Aux singulier Emmanuel(le) Hubaut et Goliam... et à leur éternel homme-pied-de-micro : le talentueux plasticien Made in Eric.
À Rodrigue, à sa plume poétiquement engagée et élégamment débridée. À son incroyable Entre-Mondes (2011) sonore et littéraire (oui album et livre !) qui me font voyager toujours et encore. Laissons siffler ses serpents sur nos têtes...
À l'extraordinaire Amanda Palmer et à son acolyte exalté Brian Viglione, le partenariat créatif et flamboyant des fabuleux The Dresden Dolls.
À Dante Alighieri, bien évidemment...
À Christine Viale pour nos longs échanges sur la multitude d'entités qui hantent notre cerveau.
Merci Lou Morens pour tes conseils avisés quant à l'inclusivité de mon écriture pour ce texte. Tenter d'englober chaque être humain dans un écrit n'est pas une chose aussi aisée qu'il n'y paraît.
Toute ma gratitude va aux personnes qui m'ont aidée à tirer ce texte et son interprétation vers le haut (même si je n'ai pas toujours eu le temps d'appliquer certains conseils – désolée), qui m'ont encouragée : ZyNgO !?, Jules R., Jessica PetitsPas, Émilie Jour, Luisa L. et Rodrigue Woittez. Ce texte vous est également dédié.
Sans vous toustes ce texte n'aurait pas la même saveur. Il n'aurait jamais franchi les limites des limbes tumultueuses de mes nuits d'insomnies.
Long live the punk cabaret!

* cf. « Lettre à mon Pelleteux », Le Jardin des Délices, novembre 2022.

**cf. « Syren », Le Jardin des Délices, octobre 2022.