Écouter l'épisode précédent Écouter l'épisode suivant
Le cœur de la Terre
Alors que les bris de verre parsèment l'humus de ma créativité et que les tambours résonnent encore à mes oreilles, mon cœur soupire à la lune opaline et cherche un espace d'expression de soi.
Aussi, j'interroge la Muse, la seule entité à pouvoir me répondre lorsque je m'enlise.
Monsieur, que dois-je faire maintenant ?
Vers qui me tourner une fois mes entraves rompues ?
Comment fonctionnent les poussières d'étoiles de l'art avant leur Big Bang ?
Silence.
La Muse mutique se tait.
Encore...
M'a-t-il seulement entendue ? Ma voix timide a-t-elle pénétré les voiles de sa conscience ? A-t-elle effleuré les limbes de sa réalité ?
Quand la Muse s'éloigne, quand l'émulation s'étiole, que reste-t-il de ma créativité ?
Devient-elle immatérielle ou change-t-elle simplement de forme ?
Est-elle fragile au point de s'étouffer, comme un feu sans nourriture ?
Sans Muse, je ne suis bien qu'une plume sans encre.
Isolée, prostrée dans mon coin rassurant, mon sang panique devant l'étendue des possibles qui s'étalent devant moi à perte de vue. Mon souffle s'emballe, se coince entre mes lèvres et écorche ma langue.
Mes dents claquent.
Je saigne.
"Étouffée par sa propre liberté de créer", voilà qui ferait un cocasse titre de quotidien.
Figée dans mes incertitudes, j'ignore si le mur* est bel et bien brisé... dans l'obscurité, je fouille la terre à la recherche d'un éclat tranchant qui rappellerait mon corps, le réunirait à mon esprit. Lui prouverait ma réussite.
Palper, ressentir, vivre.
Revenir au corps.
La fatigue piétine mes membres engourdis.
Je me sens vivre dans la douleur.
Respirer
Inspirer
Insuffler
Respirer
Inspirer
Insuffler
Respirer
Inspirer
Insuffler
Dormir
De ce sommeil salvateur qui apaise les pensées.
Entre les racines d'un arbre millénaire, adossée à son tronc, je fourre alors mes doigts frêles dans la terre meuble et fouille les tendres radicelles pour me connecter à Elle.
Ma peau frissonne au contact des vers humides qui se repaissent de la végétation en décomposition. Quelques cadavres d'arthropodes se mélangent aux morceaux microscopiques de feuilles automnales et aux déjections fétides de carnassiers en fuite qui encombrent déjà mes ongles.
Je cherche l'Âme de la Terre, enfouie en son cœur même. Elle laissera peut-être croître mon souffle jusqu'aux cieux, m'aidera à retrouver mon âme parmi celles de tout le Vivant.
Mon souffle.
Je m'évade.
Brocéliande, Juillet - Sept 2022
*Voir "Le Mur invisible"